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Cœur du prétoire, 14 heures



Depuis un quart d’heure, l’audience correctionnelle se prépare dans un mélange d’allers et venues, d’échanges de voix et de froissements de papier.


Il fait déjà chaud dans les dépendances ; par l’entrebâillement d’une porte, on aperçoit Monsieur Le Président s’éponger.


Un coup claque sur le heurtoir : le Tribunal rentre dans la salle d’audience dans le craquement des sièges en bois. La voix du Président, assortie à sa formidable stature, fait brutalement tomber le silence : « L’audience est ouverte, veuillez vous asseoir. »


Monsieur X lui, filerait bien si seulement ses jambes pouvaient le porter, mais on appelle déjà son affaire. Son avocat, Maître S, parfait habitué du lieu, le pousse doucement vers la barre, devant le micro, face à l’estrade.


C’est le moment où tout se joue ; quoique Maître S ait pu préparer avec son client quelques jours auparavant, puis tout seul dans le secret de son cabinet, comme en répétition, ce qui plaidera en faveur de Monsieur X ou pèsera à sa charge, sera cristallisé par ce que répondra Monsieur X au Président puis à tous ceux qui l’interrogeront. Cela, tous les habitués le savent.


Pour l’instant on n’entend pas grand-chose du filet de voix de Monsieur X ; serait-ce le micro, toujours présumé coupable de défaillance dans ce genre de situation ? Non, c’est plutôt que Monsieur X manque fâcheusement d’assurance.


La voix formidable teintée d’accents occitans répète plusieurs fois la même question : « Etiez-vous, oui ou non, l’administrateur du site en cause Monsieur X ? ». Monsieur X remue la tête en signe de non. « Répondez Monsieur X je ne vous entends pas ! » « … (inaudible) … c’est que je ne me suis pas rendu compte, on se laisse facilement entraîner vous savez ; ça n’était pas pour causer du tort ; juste le plaisir d’échanger avec la communauté, des passionnés de musique, de films… »


« Monsieur X, vous reconnaissez que vous avez créé ce site pour qu’on y télécharge gratuitement de la musique ou des films, sans l’autorisation des titulaires de droits ? »


Monsieur X plonge la tête vers ses pieds ; le silence retombe ; on entend distinctement le cliquetis cadencé du clavier de la greffière : elle transcrit les débats.


La voix imperturbable n’en reste pas là ; elle assène les chiffres astronomiques des téléchargements ; elle ironise sur les succès galopants du site des « passionnés » jusqu’à sa fermeture à l’issue de l’enquête. Monsieur X est accablé. Le silence ressurgit.


Des retardataires se sont discrètement agglutinés dans les travées du fond ; plus près de Monsieur X, derrière lui, on s’est agité, il y a eu des mouvements de tête, quelques gestes inachevés dans le vide et plusieurs ondulations de robes noires.


Un des assesseurs prend le relais et questionne Monsieur X sur ses manœuvres pour masquer son identité et cacher son activité. Avec le rappel de sa tentative de fuite à l’étranger, l’atmosphère s’alourdit encore. Plus personne n’estime opportun de lui poser de question.


L’interrogatoire est terminé : Monsieur X se rassied, mécaniquement. Il fait de plus en plus chaud et l’on s’évente. Quelques avocats désabusés quittent la salle après un coup d’œil à la grosse horloge : leur affaire ne passera pas avant 16 heures ! La silhouette d’une femme se détache désormais nettement, immobile et seule, au quatrième rang, la mère de Monsieur X, sans aucun doute.


Les avocats des victimes prennent la parole pour évoquer les dommages considérables causés aux auteurs et aux producteurs ; ils égrènent leurs corrélatives demandes indemnitaires.


L’assistance découvre, effarée, les méfaits du téléchargement illégal ; Monsieur X est effondré ; le Parquet et le Tribunal eux n’en ignoraient rien : ils ont reçu les écritures des parties civiles la veille.


Monsieur Le Procureur rappelle pédagogiquement le fondement des poursuites et requiert sévèrement.


A son tour, la voix rauque de Maître S. s’élève, défense énergique de Monsieur X et de ses contradictions ; Monsieur X reste ramassé sur son siège.


Je regrette, dira deux fois Monsieur X, à qui revient le dernier mot.


Suspension d’audience ; on sort prendre une bouffée de l’air du dehors ; ça sent l’été.


Le Tribunal vide son délibéré : une peine de 6 mois d’emprisonnement avec sursis et l’indemnisation des parties civiles à la somme totale de 150 000 euros.


Fin d'une chaude journée méridionale

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